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30 avril 2010 5 30 /04 /avril /2010 14:07

 

 belle de jour 2 maxCHAPITRE II


  À sa sortie de l’hôpital, l’ad vocatus était méconnaissable.  Il flottait littéralement dans ses vêtements car il avait perdu un peu plus d'une bonne dizaine de kilos. 
   -- Oh, Mon Dieu, que vont dire nos amis. Vous n’êtes pas présentable. Vous ne vous êtes même pas rasé. Regardez - moi cette tenue. C’est insensé !
   Pendant qu’elle débitait ces propos (insanités en la circonstance), le pauvre mal en point se traînait avec peine sur le trottoir inégal, essayant de rattraper la mégère qui hâtait le pas vers la voiture, espérant que personne ne l’ait vu ou reconnu en compagnie de cette loque.
   Elle s’engouffra dans le cabriolet décapotable offert pour son soixantième anniversaire, referma d’un geste brusque le toit et klaxonna plusieurs fois pour bien marquer son impatience.
   -- Allez-vous vous dépêcher à la fin cria-t-elle lorsqu’il fut à portée de voix.
   Essoufflé, transpirant à grosses gouttes, le pauvre convalescent s’effondra sur le siège.
   -- Faites attention de ne pas salir le cuir. Vous êtes sûr au moins, d’être guéri. Je ne voudrais pas devoir en plus nettoyer les sièges.
  Le visage décomposé, il haleta
   -- Démarre, ma chérie, j’ai envie de rentrer et de m’allonger.
  -- Mais, vous n’y pensez pas, nous avons un dîner ce soir. Le banquier, le préfet et la substitut - ton ex - ont accepté mon invitation. Tu pourras ainsi t’entretenir des problèmes dont nous avons déjà  parlé.
   -- Chérie, voyons, je ne suis pas en état !
   -- Comment pouvez-vous dire une chose pareille s’exclama la mégère. J’ai dépensé une somme folle pour ce dîner de cons. N’oubliez pas que nous avons besoin d’argent pour le mariage de notre fille. Car, je ne veux pas d’une cérémonie à la sauvette.
   -- Nous en avons déjà parlé, gémit - il.
   -- Justement. Vous allez vous lancer, pour une fois, ajouta-t-elle méprisante.
   L’homme se tassa sur le siège.
   -- Mais il nous a déjà prêté beaucoup.
   -- Et alors ! Ma fille compte moins qu’un banquier ?
   Sans attendre la réponse, elle poursuivit  glaciale
   -- Une fois que vous aurez obtenu ton prêt, vous irez voir ce Préfet. Comment s’appelle-t-il déjà ?
   L’homme ouvrait la bouche, elle l’interrompit
   -- Oh et puis c’est sans importance. Je veux obtenir cette autorisation de construire notre villa en bord de mer. Et ne me dites pas que cet imbécile va vous refuser.
   -- Mais, chérie, il y a eu des dizaines de morts dans la zone.
   -- Je m’en moque. S’il refuse demandez - lui donc qui a signé les autorisations et délivré les permis de construire ? Ça devrait le calmer.
  Il exhala dans un soupir
  -- Justement non, c’est l’inverse qui va se produire
 -- Dites donc, ce n’est tout de même pas un petit fonctionnaire qui va nous emmerder. S’il résiste, vous n'avez qu’à lui faire comprendre à qui il s’adresse. Vous n'êtes pas le meilleur avocat de la place, mais vous êtes marié avec moi, ne l’oubliez surtout pas. Passons à la troisième affaire. Vous allez me régler en vitesse cette affaire qui traîne depuis plus de dix ans avec ce petit chirurgien de province. J’ai besoin d’argent de poche. Cela ne devrait pas être au-dessus de vos faibles moyens. Maintenant redressez - vous. Nous sommes arrivés.
  Le vieillard s’extirpa de la voiture en gémissant. La discussion, plus que sa dysenterie, l’avait épuisé. À grand peine, il monta les quelques marches de l’hôtel particulier et se dirigea vers sa chambre. Il convient à la vérité de dire que depuis que Monsieur était horizontalement défaillant, le couple faisait chambre à part. Les rares fois où il retrouvait une certaine virilité, il devait se conter de prendre un bain de siège … Ce qui, pour un avocat du barreau etc …
   -- Où allez-vous ?
   -- Je vais m’étendre.
   -- Vous n’y pensez pas. Vous allez m’aider. Depuis que cette petite garce de camériste est partie - par votre faute -, je n’ai trouvé personne pour la remplacer. Filez vous laver les mains. On ne sait pas ce qui traîne dans les hôpitaux. Ensuite changez - vous. Vous êtes ridicule dans cet attirail. Je  vous attend dans la salle à manger. Pendant que j’attendrai le traiteur, vous irez chercher des fleurs. Ne prenez pas n’importe quoi ! Pour une fois montrez - vousà la hauteur. N’achetez pas n’importe quoi. Ces gens sont de petites gens. Il faut le leur faire sentir.
   -- Quelles fleurs souhaitez - vous que je prenne, ma chérie.
   -- Combien de fois faut-il vous le dire glapit-t-elle ! la valetaille a juste le droit à des fleurs rupestres ; il suffit de quelques tulipes pour le bas peuple ; les roses sont de mise pour les petits fonctionnaires ; quant aux lys et orchidées blanches ils sont réservés pour les grades supérieurs. Le nouveau fleuriste a une magnifique collection de fleurs artificielles.
   -- Mais, ma chérie, il est loin.
   -- Et alors, marcher vous fera le plus grand bien. Vous avez déjà perdu assez de temps avec votre soi-disant maladie. Faire toutes ces simagrées pour une banale colique. Il est temps de vous ressaisir, mon grand. Votre copine du siège appréciera un bouquet de belle de jour jaune que je me ferai un plaisir de placer juste sous son nez. Achetez une corbeille d’argent, elles feront parfaitement l’affaire. Quelques impatiences et n’oubliez pas les narcisses  et les renoncules. Et ne restez pas là planté comme une truffe. Montez vous laver et rejoignez - moi.
  L’homme monte l’escalier à pas pesants. Arrivé au milieu, il s’arrêt, les jambes flageolantes et le cœur battant la chamade. Il éponge la sueur qui pere et reprent la montée après avoir reprit son souffle.
   -- Mais qu’est-ce que tu faites ? Vous en mettez un temps !
   La voix acariâtre retentit alors qu’il s’appuyait sur le rebord du lavabo. D’un air las, il s’essuie les mains et entreprend de descendre. Il se retient à la rampe, saisi d’un vertige qui le force à s’arrêter à chaque marche. Lorsqu’il arrive enfin au bas de l’escalier, il s’assied sur la dernière marche respirant avec peine, la tête dans les mains.
   Il est pitoyable. Dans cet homme malade, il n’y avait plus trace d’arrogance. Il avait perdu toute superbe. La morgue s’était envolée. Celui qui méprisait en secret ses frères et sœur n’est plus qu’un être vulnérable, pitoyable, un individu comme tout le monde. 
   C’est dans cette position que  sa femme le trouve. Un éclair de colère traverse ses yeux. D’un ton méprisant, elle lance
   -- Vous n’êtes vraiment qu’un bon - à – rien, une lavette. Je me demande ce qui m’a pris le jour où je vous ai épousé. Si vous n’aviez pas été le fils de votre père ! En voilà un homme lui - un vrai - poursuit-elle méchamment. Vous auriez mieux fait de rester un petit fonctionnaire, un parfait rond de cuir payé à la petite semaine. Allez secouez-vous espèce de nouille. Je ne vais tout de même pas me taper le boulot - toute seule (Chassez le naturel, il revient au galop).
  L’homme se lève lentement une lueur mauvaise dans les yeux. Il baisse la tête et passe devant la virago, sans oser la regarder.
  Il place les assiettes, les couverts et les verres en faux cristal. Le dos rond et le souffle court, il enfile son manteau et sort. L’air vif le fouette au visage. Il chancelle de nouveau, s’appuie au mur. Il repart, s’arrête de nouveau et repart à nouveau, terrifié à l’idée de ce que dira sa femme s’il revient les mains vides.
 
                                                                                                   *

    Pendant qu’il court chez le fleuriste dans l’hôtel particulier un petit drame se joue. Le traiteur auquel elle avait téléphoné en catastrophe, ne connaissant pas les habitudes de la maison et croyant bien faire, avait mis le paquet « comme l’on dit vulgairement » ; il avait - comme l’on dit chez les bourgeois - « mis les petits plats dans les grands » ! Ce qui n’était pas du goût de madame pour qui les dépenses devaient correspondre à la notoriété des invités. Il ne fallait pas dépasser les bornes tout de même.
   On ne sert pas du caviar  - à n’importe quel prix - à n’importe qui !
   -- Des œufs de limbe eussent tout aussi bien fait l’affaire Monsieur (Madame avait des lettres devant le bas peuple) cracha-t-elle d’une voix irritée.
   -- Madame eut pu tout aussi bien me le dire répondit l’homme de l’art qui, bien que travaillant dans le lard, ne faisait pas que dans le cochon. Encore eut-il fallu que je le susse ajouta-t-il avec perfidie
   Madame n’en revenait pas. Qu’on puisse ainsi lui tenir tête et la contrarier, n’était guère du goût de cette luronne. Elle cherchait la réplique percutante lorsque le gai traiteur dit en souriant et d’un ton apaisant
   -- Qu’à cela ne tienne. Madame, nous partons.  René, Paul, Alain et José, remettez tout dans la camionnette. Excusez - nous pour le dérangement. Mais, ajouta-t-il toujours avec le sourire, « Il ne faut, Madame, jamais souffler plus haut qu’on a l’esprit ». Au revoir.
   Lorsqu’ils furent partis, ce fut au tour de la bonne femme de se jeter en sanglot sur son lit. Mais, nous l'avons déjà dit, c’est une femme à poigne. Ce petit moment de faiblesse passé, elle court chez le plus grand congélateur de Paris et se fournit de denrées diverses et variées.
   Au moment de payer, elle s’aperçoit qu’elle a probablement trop chargé son panier. Sans un mot d’excuse, elle dépose sur le comptoir le surplus, remplit son sac du nécessaire, règle et s’en va sans autre forme de procès laissant la caissière interloquée.
   Au moment où elle sort, elle entend distinctement une voix anonyme s’élever
   -- Ne vous gênez surtout pas ma bonne dame !
   Piquée au vif, elle se retourne, dévisage l’insolent, regarde la caissière
    -- Et alors, elle n’est pas payée pour ça peut-être !

( Selon le dictionnaire de l'Académie, il eut été convenable de dire : N'est-elle pas payée pour cela ? Encore faut-il connaître cet ouvrage)
   Sans ajouter un mot de plus, elle claque la porte.
   Les clients se regardent effarés, hochent le tête. L’un d’eux exprime ce  qu’ils pensent tous
   -- J’espère qu’elle n’est pas mariée, sinon
   -- « Le pauvre homme » ajoute un professeur de lettres à la retraite.

 

 

 

 

                                                                                                                                                             A suivre

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