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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 05:51

                                                 47828 Hachoir manuel n°8

 

   Le « petit » (d’après la virago) chirurgien de province était ulcéré. Il venait d’appendre qu’il avait perdu - en appel - contre un machiavélique avocat du barreau de Paris et de ce fait, particulièrement redoutable selon certains de ses détracteurs1 puisque cynique, dépourvu de tout sens moral et d’honnêteté. (NDLA)
   Il sortait d’une intervention difficile où, par égard pour la situation de la famille, il avait exécuté un acte pratiquement gratuit. Une pauvre femme - un peu simple d’esprit – avait eu la malencontreuse idée de demander à sa fillette de 5 ans de pousser la viande dans un hachoir à main. La petite obtempéra. Lorsque les doigts passèrent à travers la grille, les hurlements de la fillette firent enfin comprendre à la maman la stupidité de son geste.
   Hurlant autant que sa gamine, elle ameuta les voisins et c’est une petite troupe hystérique qui se précipita aux urgences de la clinique.
  Le brouhaha était insupportable et la pagaille indescriptible. L’enfant, le bras droit disparaissant dans le hachoir de fonte presque jusqu’à l’épaule, était porté par sa mère braillant et ruisselante de larmes. À l’extrémité du hachoir, deux ou trois extrémités de doigt apparaissaient mêlés aux déchets de viande.
   Le praticien, calmement, prend l’enfant dans ses bras et le transporte directement en salle d’opération. L’anesthésiste avait tout préparé et endormit l’enfant. On pouvait commencer à réfléchir dans le calme. 
   Il était hors de question d’amputer cet enfant. Le premier problème était celui d’ extraire cette main des grilles d’acier, sans aggraver les lésions anatomiques  déjà probablement considérables.
   Il n’était pas question de scier le cylindre en raison des risques d’explosion de la salle provoquée par les gaz, des brûlures profondes occasionnées par le dégagement de chaleur de la scie, de l’impossibilité technique d’une telle intervention. Il faudrait en allant le plus lentement possible des heures incompatibles avec le risque anesthésique.
   Le chirurgien fit appeler l’homme à tout faire. C’était un Egyptien portant une longue barbe, profondément croyant et d’une générosité naturelle. Ayant revêtu une blouse blanche, il s’assit de l’autre côté de la table. Il expliqua le fonctionnement de l’appareil. Il y avait une grande vis sans fin qui traversait le corps de l’ustensile. Elle était solidarisée en avant aux deux lames et à l’arrière par une goupille située derrière et stabilisant la manivelle. Les deux grilles à l’avant étaient maintenues par un large écrou cranté. Par une chance quasi miraculeuse, la partie horizontale de l’appareil était constituée par un tube cylindrique de même diamètre d’une extrémité à l’autre.(à la différence du modèle ci-dessus)
   Avec d’infinies précautions, chacun des opérateurs désolidarisa l’axe central. En dévissant l'écrou cranté, les deux grilles d’acier à l’avant apparurent. Les petits bouts de doigt étaient partiellement engagés dans les orifices. La première grille fut retirée sans trop de difficulté. Un par un, les pulpes des doigts furent dégagées des trous, en les repoussant avec précaution, sans exercer la moindre traction. Pendant ce temps délicat, l’axe central et l’appareil étaient fermement tenus et immobilisés par le second opérateur.
   La deuxième grille fut un peu plus délicate à extraire. Toutefois, en reproduisant la même technique, les petits doigts furent libérés de leurs barreaux d’acier.
   Il fallait maintenant retirer l’axe central. Le chirurgien expliqua la manoeuvre qu’ils devaient exécuter ensemble de façon coordonnée. Le grand Egyptien, les gouttes de sueur au front, fut admirable. Pendant que le chirurgien maintenait fermement les  doigts mutilés, il fit tourner très lentement à l’envers la vis centrale. Sur un signe, il s’arrêtait, le temps de reprendre la main qui, graissée par la viande, échappait à la prise.
   Le silence régnait dans la salle. On ne percevait que le bruit des appareils de respiration. La progression de la vis était régulière. Lorsqu’elle sortit du cylindre, un soupir de soulagement s’échappa de la poitrine des trois hommes. Ils se regardèrent. La première étape s’était bien passée.
   Il fallait maintenant faire vite, car le bras, comprimé dans ce cylindre du fait de la vis, n’allait pas tarder à augmenter de volume risquant - de ce fait  de se bloquer au coude du corps de l’appareil. Tout ce travail aurait été perdu. Tous ces efforts n’auraient servi à rien.
   L’aide maintenant fermement l’appareil, le chirurgien tira tout doucement mais d’un mouvement continu le bras. Peu- a- peu, on vit apparaître le coude de l'enfant. La partie était pratiquement gagnée. Le reste ne fut plus qu’un jeu - presque - d’enfant. Lorsque toute la main sortit enfin, les acteurs de ce drame se regardèrent, sans penser une seconde à la troisième étape. Un grand soulagement  se lisait sur les visages qui, il y a un instant, étaient tendus et concentrés.
   Le grand Egyptien sortit. Le chirurgien et son aide se lavèrent les mains, s’habillèrent et commencèrent la troisième étape. Il est - en chirurgie - une règle d’or concernant les soins à donner aux enfants. Il ne faut rien couper. Il faut tout conserver.
  Après avoir nettoyé pendant de longues minutes la main et débarrassé les doigts de la viande et de la graisse, retiré les esquilles des petites phalanges, le chirurgien fit l'inventaire des lieux.L’état de ces deux doigts chez un adulte n’aurait pas permis qu’ils fussent reconstruits. L’extrémité ne tenait que par une toute petite zone cutanée sur la face de la paume, les os étaient brisés ainsi que l’un des deux axes vasculaires n’autorisant -  compte tenu de son état - aucune reconstruction.
   L’enfant a, au contraire, un potentiel considérable de régénération. Les deux doigts furent donc replacés, les esquilles osseuses retirées. Les petits os furent brochés, le paquet vasculaire fut lié avec un fil très fin, les extrémités des tendons furent rapprochées et enfin la peau fut suturée.
   La petite main avait à nouveau ses cinq doigts. Un volumineux gonflement déformait le dos, la paume et les doigts de la main. Celle-ci avait presque doublé de volume. Un grand pansement occlusif enferma le tout.

 

                                                                                             *   

 

  Après quelques minutes de repos, il décida de rentrer chez lui. Il prit machinalement le courrier, le jeta dans sa serviette et se dirigea vers sa voiture. En arrivant chez lui, il embrassa sa femme Françoise, se servit un grand verre de Perrier Menthe et s’effondra dans un fauteuil. Il lui raconta sa journée. Tous ceux étaient effarés de la stupidité de cette femme.
   Il se dirigea vers son bureau, ouvrit sa sacoche et mit le courrier sur la table.   Une LR/AR attira son attention. Elle avait été postée la veille et venait du Ministère de la Justice.
   Machinalement, il l’ouvrit. La conseiller à la cour d’appel de Paris, une certaine Birgit Crevette, lui faisait savoir qu’il avait été débouté de son action contre l’avocat Touchemon. Comme dit le dicton populaire « Les bonnes - comme les mauvaises - nouvelles n’arrivent jamais seules ».
   Profondément écoeuré, par cette décision, sans en regarder tous les attendus, il jeta la lettre parmi ses papiers, incapable - sous le coup de l’émotion et de la colère -  de la lire entièrement.
   Il décida de ne pas en parler à son épouse. La journée avait été dure. Il avait besoin de calme, il avait besoin de réfléchir.et ne souhaitait dons pas débattre sur ce qu’il convenait de faire. 


 
1 Le lecteur intelligent aura compris qu'il s'agit de Machiavel.  
NDLA : Il est très difficile de lutter contre le diable.

 

 

 

                                                                                                                                    A suivre

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