Le mot, ce mot, celui que je prononce avec respect, tendresse, amour, violence ou bien fureur,
Ce mot, lorsque la nuit seul devant le papier que ma plume impudente aime tant caresser
Me plait infiniment pour ses belles rondeurs. J'aime l’entrelacer, le fixer de ma main
Par ma sergent major, en pleins et déliés. Il me chaut de palper ce vélin vierge et pâle
Sur lequel un adverbe, un pronom, un accent, une phrase éclatée, un poème alléchant
Posés légèrement d'une plume gourmande, par la magie du verbe et mon imaginaire
En un envol soyeux s'élancent dans l'azur pour en touchant mon coeur l’emporter vers les cieux
Il m'importe beaucoup d'en humer le pelage, d'en caresser le cuir, d'en repousser le grain.
J'aime en tout lieu propice ouvrir et fendre en deux le grimoire éculé ou le parchemin d'âge,
Peut-être vierge encore et pour quelques instants, puis de mes doigts tremblants
L'efflorer tendrement. « Fort jolie en effet, pleine de poésie, la langue quelquefois
Semble se peloter ou se pelotonner (ô nuance infinie) dans ces recoins obscurs où l'on veut la forcer.
Dans ce flux et reflux de succès et de pertes, comme aurait dit Voltaire en parlant de la paix
Il fait bon folâtrer parmi les herbes vertes et c'est un vrai bonheur que de parler Français. »
Quel dommage , en effet, que ce bonheur perdu ! La langue de Molière a si grande vertu
Qu'elle continue de plaire à ceux qui de nos jours se rendent au spectacle y entendre le cours.
Et tant d'autres aussi dont les pieds sont si grands qu'on ne peut les compter, même à pas de géant.
Tous ces hommes pour qui les lauriers immortels ont ceint leur front béni de leur verte dentelle.
Ce jour la nostalgie a envahi mon cœur. Le ciel plein de remords s'est couvert de nuées
Froides comme un soleil aux vêpres d'Austerlitz, épouvanté de voir ces corps déchiquetés
Jeunes et vigoureux, ardents chargés d'espoir pleins de vie au matin, ensanglantés le soir.
J'aurais aimé pourtant, jouer, boire et chanter avec ces compagnons dans la douceur d'un soir.
J'aurais voulu sombrer à jamais enivré au bras de quelque amie si chère au doux Musset.
Je pincerai le luth pour tous les oubliés, tous ceux dont le destin - triste fatalité
Sans honte, sans remord, regrets ou compassion d'un implacable bras, trancha la condition.
Qu'il soit d'or ou doré, libre ou bien régulier, grand, commun ou petit, le vers a de tous temps
Inspiré le poète comme l'écrivassier. Compagnon libertin dans le lit des amants.
Sans doute le sonnet et ses règles austères semble trop corseté dans son rigide écrin.
Sans doute le rondeau, dans sa forme première est lui aussi figé dans un passé sans fin.
Car nous sommes soumis à la règle établie. Si le fond reste ouvert, la forme est imposée.
L'imaginaire est roi, mais la langue est sertie dans le métal trop froid de sa "normalité".
Hélas nous regardons chaque jour attristés la langue de Molière un peu plus dépouillée
De sa noble parure et de ses attributs et restons là nigauds, affligés et déçus.
Et plus l'instant s'écoule et plus je me tourmente. Combien me reste t-il avant que de partir ?
Aurais-je assez de temps pour me distraire encore et m'abreuver sans cesse à la prose magique ?
Le parfum qui me trouble a une étrange odeur faite de musc et d'ambre dont il a la couleur.
Le mot dont je perçois la violente fureur a trop souvent - ce soir - une amère saveur.