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21 octobre 2014 2 21 /10 /octobre /2014 15:02

La jalousie n’est pas une question de sexe

Deux années se sont écoulées sans que ma petite fille me pose de questions sur la différence entre un petit garçon et une petite fille. J’en ai conclu qu’elle ne s’en préoccupait pas plus que de son premier biberon. Pourtant, là, je me trompais. Non pas sur la question, pour beaucoup, embarrassante d’expliquer la différence entre un phallus et un vagin, mais sur l’objet nouveau pour elle, à savoir la découverte de la jalousie, sentiment qui existe chez tous, sans qu’il soit besoin d’aller chercher une différence sexuelle

La famille, durant ces quelques mois, s’était enrichie d’une nouvelle petite merveille. Une fille, comme elle, aux yeux plus malicieux que ceux d’un ouistiti, au sourire ravageur et au tempérament bien trempée. Elle eut alors, dans son esprit, une autre partie à jouer.

Il est certain, plus que très vraisemblable, que cette nouvelle donne accapara toutes ses pensées rejetant au deuxième plan les autres problèmes existentiels. Elle qui avait été pendant un temps le centre et le sujet exclusif des attentions et de l’amour de papa et maman, ainsi que celles de mamie et papy, se trouvait d’un coup face à un autre sujet qui occupait également les attentions de papa et maman, de papy et mamie.

J’observais avec attention le comportement de ma petite fille et me rendis compte du changement qui s’opérait en elle. Elle avait fort à faire, en effet, pour tenter de ne pas quitter le devant de la scène. Elle s’y donna à fond, sans relâche, sans répit. Elle retourna à ce qu’elle savait - parce qu’elle venait de le vivre - c’est à dire à son enfance, singeant les attentions portées par les adultes à la petite qui venait de naître et réclamant sa part. Le biberon réapparut, elle eut de nouveau quelques fuites urinaires nocturnes, elle rappela avec persévérance que les adultes ont deux genoux, pour le cas où ils l’auraient oublié. Elle n’omit pas une seule fois d’être présente lorsque l’un des parents s’occupait de la plus jeune ou lorsque que maman s’occupait de la nourrir. Sa présence se faisait plus pressente. Elle courrait vers le papa, ou se réfugiait dans les bras de mamie. Bref, elle forçait le passage en toute circonstance. La mauvaise jalousie faisait son œuvre négative et gâchait la vie de la petite demoiselle.

Dès que la plus jeune avait été changée, nettoyée, langée, avait bu le lait maternel, cependant que maman ne cessait de lui parler, de l’embrasser, de la câliner afin qu’elle s’épanouisse dès ses premiers jours ; dès qu’elle avait été couchée ; dès la porte de la chambre refermée, elle se précipitait vers maman qui était alors disponible pour se préoccuper totalement et exclusivement de l’ainée, comme elle l’avait fait avec la seconde.

Tout le travail des adultes fut de lui expliquer que l’arrivée d’un nouveau membre ne changeait pas la donne envers elle, que l’amour n’était pas exclusif, mais qu’il était unique, et surtout universel, ouvert à tous, sans distinction. Il ne se partageait pas comme on découpe un gâteau. Il n’y avait pas, non plus, de gros et de petites morceaux. Au lieu de diminuer la part de tendresse de chacun lorsqu’un invité imprévu se présentait afin de partager équitablement la friandise, c’était le gâteau qui grossissait en s’enrichissant d’un apport supplémentaire. Ce n’était pas « un moins d’amour », c’était « un plus de tendresse » qui augmentait la richesse de cœur de chacun.

Au début, ce petit visage se fermait brusquement dès que c’était l’heure des soins d’hygiène ou du repas. Peu à peu, lentement elle comprit qu’il y avait de la place pour tout le monde. Elle redevint la petite demoiselle d’avant la naissance. Mieux, elle prit parfois des attitudes de grande personne, car c’était elle l’aînée. Elle avait des responsabilités, d’autant qu’elle fut autorisée à s’occuper de sa petite sœur, en présence d’un adulte évidemment.

Il y eut bien des rechutes, mais l’ensemble s’améliora et une sorte de modus vivendi s’installa dans le groupe.

Lorsque nous avions un tête à tête, je m’efforçais d’apaiser cette lèpre qui la rongeait, sans qu’elle en comprisse clairement l’origine. Un jour où nous étions seuls, elle me prit par la main et m’entraîna près d’un large fauteuil. Elle me fit asseoir, s’empara d’autorité de mes genoux, comme si c’était son droit et me regarda droit dans les yeux.

  • Papy, est ce que tu sais pourquoi ma petite sœur est arrivée ?
  • Bien sûr que je le sais, répondis-je. C’est parce que ton papa et ta maman s’aiment très fort.
  • Tu me dis qu’ils s’aiment très fort, alors ils s’aiment plus fort qu’ils m’aiment moi ?
  • Non, chérie. Lorsque tu es née, ils ont été plein de joie, comme tes grand-mères et tes grand-pères.
  • Alors, je n’ai pas été assez gentille ?
  • Pourquoi dis-tu cela ?
  • Parce que, moi, quand je ne suis pas contente d’une copine, que

je ne l’aime plus, j’en cherche une autre.

  • Je te comprends, mais pour ton papa et ta maman, ce n’est pas la

même chose. Ils t’aiment autant qu’avant la naissance de ta sœur. Ta copine d’école, tu ne la vois qu’à l’école, n’est-ce pas, alors que ta petite sœur est là dans la maison. Tu la vois tous les jours, tout près de toi, comme nous tous. Ce sera, tu verras, ta meilleure copine. Tes parents ne connaissent, peut-être, pas ta copine d’école, ils n’ont donc pas les mêmes rapports qu’avec toi.

  • C’est quoi les rapports ?
  • Le comportement des gens, les uns avec les autres. Comment ils

se parlent ; comment ils se disent bonjour dans l’escalier de l’immeuble lorsqu’ils se rencontrent ou se croisent ; comment ils demandent un renseignement : ici un gâteau chez le pâtissier, là une viande chez le boucher ou un légume chez le marchand de légume etc...

Lorsque tu ne connais pas quelqu’un, tu peux l’aimer, bien sûr, ou ne pas l’aimer tant que tu ne le connais pas. Ta copine va à l’école comme toi, mais tu ne sais pas si elle est gentille ou méchante à la maison. Le jour de la rentrée des classes, tu ne connais pas ses parents. Tu ne sais pas s’ils sont gentils ou non avec elle. C’est cela que l’on appelle des rapports. C’est une relation qui unit ou divise les uns et les autres dans la famille ou ailleurs. As-tu compris maintenant que l’arrivée de ta sœur était une preuve d’amour ?

  • Qu’est-ce que c’est une preuve ?

- Lorsque tu cherches quelque chose, tu veux être sûr de la trouver. Lorsque tu cherches un jouet, tu réfléchis où tu as bien pu le mettre, ou bien tu demandes à papa ou maman s’ils l’ont vu. Si tu le trouves, tu as la preuve que ce que t’ont dit tes parents étaient justes. Ils t’ont renseigné sur l’endroit où ils l’avaient vu. Ce que tu cherches aujourd’hui, la preuve que tu souhaites, c’est de savoir si tes parents t’aiment, n’est-ce pas ?

  • Oui. Mais ce n’est pas un jouet que je cherche.

- C’est exact, mais tu veux avoir la preuve, c’est à dire être sûre, dans ton cœur, qu’ils t’aiment toujours comme avant ?

  • Oui.

- Avant que je te réponde, sais tu pourquoi tu t’es posée la question de savoir si tes parents t’aiment ? Te posais-tu la même question avant l’arrivée de ta sœur ?

  • Non.

- C’est parce que tu n’avais aucune raison de te la poser. Pourquoi te la poses-tu maintenant ?

  • Je ne sais pas. Avant, ils ne s’occupaient que de moi !

- C’est bien, chérie. Tu as raison. Et tu as eu peur maintenant qu’ils t’oublient ?

Ma petite fille se tut. Je voyais qu’elle essayait de comprendre et plissait son front sous l’effort de concentration.

  • Est-ce qu’ils t’ont oublié ? Papy et mamie t’ont-ils oublié ?

- Oui, cria-t-elle. Avant, vous m’aimiez, maintenant, vous ne m’aimez plus comme avant.

Ma petite fille souffrait, c’était évident. Il fallait l’apaiser et lui faire comprendre que ce qui lui faisait tellement mal n’était rien d’autre que de la jalousie. Que le mal dont elle souffrait venait d’elle et non de ses parents. Comment expliquer à un enfant ce qu’est la jalousie ? Il fallait crever l’abcès, mais comment.

  • Est-ce que tu as mal, lui demandais-je ?
  • Non, j’ai pas mal.
  • Et bien, moi, je sais que tu souffres. Tu sais que je suis médecin.
  • Oui.
  • Tu sais que je soigne les gens qui ont mal.

- Oui. Mais moi j’ai pas mal, reprit-elle, sauf quand tu me soignes.

Je me rappelais le jour où elle était tombée sur du gravier et s’était écorchée le genou. Un petit caillou s’était incrusté dans la peau. Ses parents avaient essayé de l’extraire en pressant dessus, sans résultat. Elle avait du mal à s’accroupir et ne pouvait se mettre à genou. Après avoir appliqué sur sa peau un anesthésique de contact, j’extrayais le caillou avec une aiguille chauffée. Elle ne dit rien, ne retira pas son genou, mais de grosses larmes coulaient de ses joues lorsque je relevais la tête. Je la pris dans mes bras et la félicitais de son courage.

- Tu m’as fait mal, me dit-elle.

Je n’en étais pas sûr, mais je ne dis rien. À cet instant, il me revint en mémoire l’histoire de sa verrue. Depuis plusieurs mois, elle avait une méchante verrue entre les orteils qui grossissait et la gênait pour marcher. Ses parents avaient envisagé de la faire retirer, mais ils hésitaient. Une amie de la famille indiqua qu’elle connaissait un magnétiseur qui faisait partir les verrues juste en les touchant. Ils étaient prêts à le voir, ce n’était plus qu’une question de temps.

Lorsque je l’appris, je dis à mon fils et à ma belle fille que je pouvais m’occuper d’elle. Par politesse, ils esquissèrent un sourire un tantinet narquois. Il y avait de la commisération et comme une sorte de mansuétude dans leur esprit à l’égard de ces vieux qui croient tout savoir ou détiennent un pouvoir de charlatan ! Et puis, ce n’était pas une attitude bien scientifique, n’est-ce-pas ?

Un dimanche où nous en avions la garde, j’ai demandé à Loulou de se déchausser. J’examinai le pied. Il y avait en effet une verrue dont elle me dit qu’elle grossissait. Je l’ai questionné pour savoir s’il n’y en avait pas d’autre. Elle me dit que non. Tout en lui parlant, je vérifiais qu’elle était bien unique.

- Regarde bien, dis-je. Je vais toucher ta verrue et elle partira. Rechausse-toi maintenant.

Le soir, rentré à la maison, elle s’empressa de raconter ce que papy avait fait. Plusieurs jours s’écoulèrent. Maman examinait le pied chaque jour et rigolait en douce du vieux fou, car la verrue était toujours là. Et puis, un beau matin, quelle ne fut pas sa stupéfaction de constater que la verrue avait disparu, comme par magie. Ce n’était pas la première fois, car le vieux fou que je suis, avait, comme par magie, guéri sa propre fille, bien des années avant, de cette tumeur bénigne mais parfois bien gênante.

J’avais ma réponse. Je tenais l’argumentaire pour lui faire comprendre la raison de son mal.

- Te rappelles-tu de ce que tu m’as dit lorsque j’ai retiré le caillou de ton genou ?

- Oui, tu m’as fait mal.

- Sais-tu pourquoi ?

- Non.

- Sous la peau de notre corps, il y a de minuscules points de contact - comme des petits boutons - qui s’allument lorsqu’on les touche. Si tu presses un peu dessus, si tu les frôles, c’est une caresse que tu ressens. Si tu tapes dessus très fort, cela te fait mal. Or papy a retiré le caillou sans taper dessus et après t’avoir expliqué ce qu’il allait faire.

- Et ça m’a fait mal, quand même.

- Oui, mais c’est dans ta tête que cela t’a fait mal. Pourquoi ? Parce que le feu, tu sais que cela fait mal. On te défend d’y toucher, cela risque de te brûler. Que s’est-il passé dans ta tête ? Tu as pensé que tu allais avoir mal parce que papy a brûlé le bout de l’aiguille avant de retirer le caillou. En réalité, je sais que tu n’as pas souffert.

- Si, mais pas beaucoup, avoua-t-elle.

- Et bien, dans notre cœur, il y a aussi des petits boutons qui s’allument lorsqu’on les touche.

- Mais je ne touche pas mon cœur, tu dis des bêtises.

- Non, tu ne le touches pas, mais quand tu dis à maman : « Je t’aime de tout mon cœur », tu ne le touches pas non plus et pourtant c’est bien dans ton cœur, dis-tu, que tu aimes ta maman. C’est bien la preuve qu’ils se trouvent bien là ces petits boutons. C’est aussi dans le cœur de tes parents qu’ils se trouvent. Maman ne t’a jamais dit : « Je t’aime de tout mon cœur ? »

- Si.

- Il suffit que maman les touchent et ils s’allument. Tu es contente.

- Même pour ma petite sœur ?

- Oui, bien sûr, mais pas uniquement. L’amour, c’est celui que te donne maman, papa, tes mamies, et tes papy. C’est tout ce qu’ils font pour toi. Ils te parlent, te nourrissent, te lavent, t’habillent, et t’envoient à l’école. Tout cela, ils le font par amour. Ils te le montrent tous les jours, aussi, par des caresses, des bisous, des friandises que tu as plaisir à manger. Mais, as-tu remarqué qu’ils se font des bisous aussi, qu’ils nous embrassent aussi et qu’ils embrassent leurs amis ? Ont-ils fait la tête lorsque ta sœur est née ? Non, comme lors de ta naissance, nous avons fait la fête. Nous étions tous contents et heureux. Tout le monde, sauf toi. Sais-tu pourquoi ? Sais-tu comment s’appelle ce qui t’a fait si mal dans ton cœur ?

- Non.

- Cela s’appelle de la jalousie. Et la jalousie est entrée dans ton cœur parce que tu avais peur. Tu avais peur que ce petit bout de chou te vole l’amour de tes parents. La jalousie est venue et a chassé l’amour.

Elle se mit à pleurer.

- Ne pleure pas, ma chérie. Maintenant que tu sais ce qui te fait mal, regarde bien ce que font tes parents, ce que nous faisons. Tu verras qu’il n’y a pas de différence entre vous deux. Tu aimes la cuisine que je te fais, n’est-ce pas ? Et bien, je ferais la même cuisine pour ta sœur lorsqu’elle sera plus grande. Sèche tes larmes, mon amour. Si un jour, plus tard, tu sens venir la méchante jalousie, chasse la avant qu’elle ne franchisse la porte de ton cœur.

- Papy, mets-moi un dessin animé, s’il te plaît.

J’ouvris l’ordinateur et la laissais en compagnie de Bambi.

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